Santé sexuelle et reproductive à Za-Kpota au Bénin

Battues, mais pas prêtes à renoncer à la planification familiale

L’accès gratuit des soins en planification familiale mis en place dans la zone sanitaire Zogbodomey, Bohicon, Za-Kpota (ZOBOZA) dans le centre du Bénin motive de nombreuses femmes à adhérer à la contraception. Un choix difficilement accepté par leurs conjoints. Dans la commune de Za-Kpota, injures, bastonnades, divorces s’invitent dans les foyers des acceptantes, mais c’est sans compter avec leur détermination et leur bravoure. Reportage.

Déla Fidèle TAMADAHO

Centre de santé de Houngomè, un arrondissement de la commune de Za-Kpota, département du Zou, à environ 150 kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Assise sur un lit ce 20 juin, Françoise H., la vingtaine, allaite son enfant. Amaigrie, presque chétive, la jeune femme porte encore les stigmates des violences que lui a fait subir son mari la veille: bosse sur le front, meurtrissures sur le corps. Le crime de cette très jeune mère de deux enfants? Avoir décidé d’adopter une méthode contraceptive, suite à une grossesse non désirée survenue moins d’un an après le premier accouchement. N’arrivant pas à convaincre son mari, Françoise s’est fait placer le Jadelle, une méthode contraceptive à longue durée d’action réversible (MLDAR). « Quand il l’a su, mon mari est entré dans une colère noire, m’accusant de l’avoir fait pour pouvoir me prostituer. Il m’a assénée des gifles, m’a frappée avec un bâton. J’ai reçu un coup sur le front. Mon beau-père a menacé de s’en prendre à l’infirmière qui m’a administré les soins», raconte Françoise. Chassée de son foyer en pleine nuit avec son fils de moins d’un an, la jeune femme perd connaissance en pleine rue. Elle est secourue par des passants qui la conduisent au centre de santé où elle se réveillera. Bien que blessée physiquement et dans son amour propre, Françoise reste déterminée. « Je ne vais pas retirer ma contraception. Je l’ai fait gratuitement et les agents de santé m’ont rassuré qu’au moindre souci sanitaire, je serai prise en charge. Mon premier enfant n’avait que onze mois quand je suis retombée enceinte. Cette deuxième grossesse a été très difficile et je ne veux pas revivre cela.», martèle-t-elle.

Au centre de santé de Za-Kpota centre à une dizaine de kilomètres de là, Natacha W., 23 ans, sort de la salle de soins. Elle vient de se faire placer, elle aussi, le Jadelle. Souvent victime de violences dans son couple, elle est consciente des heures chaudes qui l’attendent quand son mari saura qu’elle a outrepassé son autorité en se mettant sous contraception. Malgré cela, la jeune femme est sereine : « Quel que soit ce qui adviendra, je garde ma contraception ». Natacha W. est tombée enceinte à seize ans alors qu’elle était en classe de sixième. Cette grossesse non désirée a mis un terme à ses études et l’a obligée à se marier. En six années, elle a eu trois enfants et depuis, fait des pieds et des mains pour joindre les deux bouts. « Je vis de la vente de produits saisonniers. Mon mari est sans emploi stable et assume difficilement ses responsabilités. Notre fils ainé a six ans mais ne va pas à l’école, faute de moyens », se plaint-elle.

De plus en plus de femmes adhèrent à la planification familiale

C’est dans ce contexte difficile qu’elle est informée par une radio locale de la place et les relais communautaires des bienfaits de la planification familiale (PF). Natacha décide d’y adhérer. Elle compte désormais espacer ses grossesses pour pouvoir économiser cent cinquante mille francs CFA (150.000 FCFA, environ 245 dollars américains) pour se former en coiffure, sa passion.

Françoise, Natacha, mais aussi beaucoup d’autres Béninoises

Natacha et Françoise ne sont pas des cas isolés. De Banikoara à Ségbana en passant par N’dali ou Tchaourou, des villes du nord du Bénin, Yarou Ouenet Sonsona, une sage-femme diplômée d’état, en a connu. « A Ségbana, il est arrivé qu’un mari conduise de force sa femme, mère de huit enfants et nous oblige à lui retirer sa contraception », se rappelle Yarou O. Sonsona, actuellement en service au centre de santé de Za-Kpota centre.Cependant, ces violences sont loin d’émousser la détermination de certaines femmes. De plus en plus de Béninoises à la recherche de leur autonomie financière ou encore d’une meilleure santé bravent les obstacles pour adhérer à la planification familiale. A cause de ce choix, beaucoup sont victimes de violences. Au centre de promotion sociale (CPS) de Za-Kpota centre, sur cent plaintes, environ cinq à dix sont dues à l’adoption du planning familial, avance le responsable, Ghislain Bogninou. Au Bénin, selon la dernière enquête démographique et de santé (EDS 2017-2018), l’Indice synthétique de fécondité s’élève à 5,7 enfants par femme et le taux de prévalence contraceptive moderne à 12,4%. Selon la même enquête, 32% des femmes en union ont des besoins non satisfaits en matière de PF.

Alexandrine Agbokpanzo est passée par un relai communautaire pour convaincre son mari

L’obstacle des normes et facteurs sociaux

Au nombre des obstacles à l’utilisation de la PF figurent les normes et facteurs sociaux. Dans son article 7, la loi N° 2003-04 du 03 mars 2003, relative à la santé sexuelle et à la reproduction dispose : « L’autorisation du partenaire ou des parents avant de recevoir des soins en matière de santé de la reproduction peut ne pas être requise pourvu que ce procédé ne soit pas contraire à la loi ». Dans les communautés, la mise en application de cette disposition pose problème relève Ghislain Bogninou. « Qu’une femme prenne cette décision unilatéralement est perçu comme un affront et une envie d’adultère. Souvent, peu scolarisées et mal informées, les femmes n’ont pas les arguments pour convaincre leurs conjoints ». Dans bien de cas, les époux ou d’autres membres masculins de la famille s’opposent à l’usage de la contraception, ce qui amène certaines femmes à se cacher pour y recourir. C’est ce qui est arrivé à Pascaline Dossou. Avec la complicité d’un relai communautaire, cette mère de sept enfants a placé le Jadelle à l’insu de son mari. « Je laissais le carnet de soins chez l’infirmière. Ce n’est que deux ans et demi plus tard que mon mari l’a su ». C’est aussi un relai communautaire en la personne de Paulette Akoutè qui s’est rendu chez Alexandrine Agbokpanzo, une autre acceptante de la PF pour sensibiliser le mari de cette dernière. Relai communautaire depuis plus de quinze ans à Za-Kpota, Paulette Akoutè a une idée des raisons qui fondent l’opposition de certains hommes, mais aussi de certaines femmes. « Ici, les enfants sont perçus comme une richesse. Quand ils grandissent, ils vont au Nigéria pour y faire de petits commerces. Il y a aussi la peur des effets secondaires des produits contraceptifs », explique-elle. Les effets secondaires, c’est l’une des raisons qui explique la farouche opposition de Vincent Gangnihessou à la PF. Saignements illimités, menstruations inexistantes, prise ou perte de poids, infections vaginales, anémie, stérilité, ce chef de famille proche de la soixantaine accuse les contraceptifs modernes d’être à l’origine de nombreux problèmes de santé chez les femmes. Aussi, soupçonne-t-il ces méthodes d’être à l’origine des décès maternels. Soutenant ses arguments, il va plus loin : « Les Africains doivent se méfier de ces pratiques importées ». Pour l’espacement et le contrôle des grossesses, Vincent Gangnihessou conseille le coït interrompu, une solution qu’il dit avoir testée, ou encore l’éloignement de la nouvelle accouchée du foyer conjugal jusqu’au sevrage de l’enfant. Dans le cadre de son mémoire rédigé en 2020 en vue de l’obtention du diplôme d’attachée de santé en soins infirmiers et obstétricaux, Solange Awede s’est penchée sur les facteurs expliquant l’abandon des MLDAR dans la commune de Za-Kpota. Elle en déduit que les facteurs socio-culturels liés aux femmes constituent un obstacle à la continuation des MLDAR. Sur deux-cent-quatre-vingt-onze (291) femmes interrogées dans le cadre de son travail, elle a constaté que 47,08% des maris n’ont pas adhéré à l’utilisation des MLDAR par leurs épouses, ceci à cause des barrières socioculturelles et de la peur des effets secondaires.

Dans pluieurs villes du nord du Bénin, Yarou Ouenet Sonsona, une sage-femme diplômée d’état, a rencontré des maris opposants à la PF.

Briser les mentalités, le chemin est encore long

Malgré les sensibilisations trimestrielles, qu’organise son centre de santé, le Dr Henok Ogboni, médecin chef de Za-Kpota centre depuis cinq ans estime que les mentalités ont la peau dure dans la localité. « Certaines reviennent seules ou avec leur conjoint réclamer le retrait de la méthode adoptée. Quand on fouille dans les communautés, on se rend compte que les maris en sont pour quelque chose ». Dr Hénok Ogboni balaie les accusations de Vincent Gangnihessou. Sur la gestion des effets secondaires, le médecin chef rassure que les prestataires en PF ont les compétences nécessaires pour prendre en charge les femmes en cas de survenue d’indispositions sanitaires liées à la méthode choisie. Malgré ces craintes et ces préjugés, le nombre de femmes adhérentes à la PF progresse à Za-Kpota. Le centre de santé reçoit quotidiennement, en moyenne une à deux femmes adhérentes à la PF. Selon les données de l’Annuaire des statistiques sanitaires, en 2022, la zone sanitaire ZOBOZA a enregistré vingt-quatre mille sept cent soixante-dix-neuf (24779) utilisatrices des méthodes modernes de contraception pour quatre-vingt-seize mille deux cent vingt (96220) femmes en âge de procréer non enceintes, ce qui lui donne un taux de prévalence contraceptive de 25,6% contre 22, 8 au plan national. Des chiffres qui devront être confirmés par une nouvelle EDS. Aux côtés des femmes adhérentes, certains hommes, comme Symphorien A. ont compris l’importance de la planification familiale. Il a accepté que son épouse, déjà mère de quatre enfants, se planifie : « A chaque accouchement, ma femme est toujours césarisée. Comment prendre le risque de continuer à faire des enfants dans un contexte pareil ? ». C’est aussi lui qui a décidé de la planification de sa sœur ainée après le dixième accouchement de celle-ci. Ces adhésions sont le résultat non seulement des sensibilisations, mais surtout de la gratuité des soins relatifs aux services de la planification familiale décrétée dans la zone sanitaire ZOBOZA. Gratuité financée sur fonds propres et effective depuis trois ans dans les trente-trois centres de santé que compte la zone. Le médecin coordonnateur Dieudonné Tchékpé se réjouit de ces résultats et espère une généralisation au niveau national.

Dr Dieudonné Tchekpe, médecin coordonnateur de la zone sanitaire ZOBOZA

La gratuité s’impose !

Le Bénin s’est engagé en décembre 2021 devant les autres pays du Partenariat de Ouagadougou (PO) à généraliser la gratuité de la PF avant décembre 2022. Lancé en 2011, le Partenariat de Ouagadougou est un mouvement visant à accélérer les progrès en planification familiale dans les neuf pays de l’Afrique de l’Ouest francophone. Pour Jérôme Chatigre, directeur exécutif de l’ONG GRAFED (Groupe de recherche, d’action et de Formation en Epidémiologie et en Développement) et coordonnateur de la plateforme des Organisations de la Société Civile pour la planification familiale, c’est une décision noble. « Même après l’échéance, le Bénin doit honorer cet engagement car une femme qui contrôle ses naissances, jouit d’une bonne santé, gère ses enfants et son mari et peut aussi vaquer à une activité génératrice de revenus».Au plan politique, la promotion de la PF est une vision. L’un des objectifs phares du Plan d’action national budgétisé (PANB) 2019-2023 est d’augmenter le taux de prévalence contraceptive moderne de 15,8% en 2019, à 21,8% en 2023. A trois mois de l’échéance, difficile de dire si cet objectif sera atteint. En attendant, pour leur épanouissement, Françoise H, Natacha W et bien d’autres, bien que peu instruites, bravent tout pour la planification familiale.

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