Pour ou contre la légalisation de l’avortement? Ces décès évitables qui interpellent. Interview avec Dr Raphael TOTONGNON
Au Bénin, trois (3) avortements sur quatre (4) sont clandestins et tuent plus de deux cent femmes chaque année. Des chiffres alarmants issus d’une étude du ministère de la santé. Même réalité dans la sous région ouest africaine, Médecin épidémiologiste, spécialiste en santé sexuelle de la reproduction, Dr Raphael Totongnon, coordonne un projet du collège national des gynécologues-obstétriciens du Bénin dénommé Projet plaidoyer pour l’avortement sécurisé. Il trace la triste réalité des avortements clandestins dans les pays de l’Afrique de l’Ouest déjà fragilisés par le sous développement.
Déla Fidèle TAMADAHO
Dr Raphael TOTONGNON, vous rencontrez de façon fréquente des femmes admises en soins d’urgence suite à des complications des avortements clandestins. Le taux desdits avortements clandestins est en hausse et participent de 15 pour cent aux décès maternels au Bénin. Comment comprendre ce fait?
Au Bénin, l’avortement est interdit par les textes. La loi 2003-04 du 3 Mars 2003 portant sur la santé sexuelle et de la reproduction, en son article 17 définit les trois conditions dans lesquelles l’interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée.
Quelles sont ces conditions?
La première condition, lorsque la femme est porteuse d’une grossesse issue d’un viol, d’un insecte, la deuxième condition lorsque la poursuite de la grossesse pourrait mettre en péril son pronostic vital, c’est à dire, sa vie est en danger, la troisième lorsque le bébé est frappé d’une malformation fœtale grave avec très peu de chances de survie. Dans ces cas, le couple peut demander une interruption volontaire de grossesse. Mais le dernier paragraphe de l’article dit qu’un décret sera pris en conseil des ministres pour définir les conditions d’exécution de cette disposition. Ce décret n’est toujours pas pris.
Sur quatre avortements, trois sont clandestins, comment expliquer cette situation?
Les conditions de recours à l’avortement sont militées. L’enquête démographique de santé de 2017- 2018 a révélé que les grossesses issues des harcèlements et de viols représentent 3 à 4 pour cent, les malformations prennent moins de cinq pour cent, les complications, juste une infirme partie. Dans l’ensemble, neuf grossesses sur dix ne répondent pas aux conditions définies par la loi pour faire recours à un avortement.
Peut-on classifier les femmes qui demandent les services des avortements clandestins?
Les grossesses non désirées surviennent chez les femmes qui ont entre douze et vingt neuf ans. Ce sont des élèves, des non scolarisées en situation d’apprentissage, des vendeuses. Face à la rigueur de la loi, elles cherchent par tous les moyens pour s’en débarrasser et font recours à l’avortement clandestins.
Quand elles veulent avorter, à qui s’adressent elles?
Les femmes font recours à des personnes non qualifiées, des aides soignants, des infirmiers, qui bien que conscient de l’interdiction des avortements s’adonnent à cette pratique.
Il y a environ trois ans, le ministère de la santé a procédé à des fermetures des centre de santé qui exercent dans l’illégalité. Cette action a -telle influé sur la pratique des avortements clandestins?
La loi 97-020 du 14 juin 1997 qui définit les critères d’exercice de la médecine, des formations paramédicales, les critères d’autorisation d’ouverture et d’exploitation de centre de santé privé. La majorité des centre de santé privé ne respectent pas ces critères. Malgré la lutte pour la fermeture des centre de santé illégaux, les auteurs des avortements clandestins se cachent pour continuer leur forfait et la population est complice.
Certains pays comme l’Afrique du sud, le Mozambique, la Tunisie etc, ont légalisé l’avortement afin de mettre fin aux avortements clandestins. Le Bénin peut-il s’engager dans une voie pareille?
Chaque pays avec sa culture et ses réalités. L’idéal aurait été que la loi soit beaucoup plus flexible pour permettre un meilleur accès des femmes aux services de soins de santé sexuelle reproductive, y compris les services d’avortements. Aujourd’hui les défenseurs des droits humains clament que l’accès à l’avortement doit être considéré comme un droit humain. La prise d’une loi flexible favorisant l’accès à l’avortement dépendra de comment le sujet est perçu par les politiques. La question de l’avortement est considéré comme un sujet tabou qui se heurte aux pesanteurs socioculturelles, aux croyances religieuses. Cela varie d’un pays à l’autre. En Afrique, quatre pays ont légalisé l’avortement, à savoir l’Afrique du Sud, le Mozambique, le cap vert et la Tunisie.
Les expériences de ces pays peuvent -elles inspirer d’autres pays?
Au Bénin, le ministère de la santé est conscient que quinze pour cent des décès maternels sont dus aux avortements clandestins, en moyenne deux cent femmes décèdent des suites d’un avortement par an et parmi ces décès, un décès sur cinq est une jeune fille de moins de dix huit ans. Pour pallier cette situation, le ministère de la santé a mis en place le Plan opération de réduction de la mortalité maternelle et néonatale 2018-2022 qui demande de porter la prévalence contraceptive moderne de 16 à 25 pour cent d’ici 2022; En effet, tous les pays membres des nations unis sont tenus de ramener leur prévalence contraceptive moderne à 55, 65 pour cent à l’horizon 2030; En 2019, le taux de prévalence contraceptive moderne fluctue entre 16 et 17 pour cent au Bénin. Comparaison n’est pas raison, mais la Tunisie en fin février 2021 est a 62, 5 pour cent du taux de prévalence contraceptive moderne. Dans ce pays ou l’avortement est légalisé, il y a un fort taux d’adhésion des personnes en âge de procréer aux méthodes de contraception modernes.
Pour ou contre la légalisation de l’avortement?
Tout agent de santé est sensible lorsqu’il assiste à un décès évitable. Les décès dus aux avortements clandestins sont des décès évitables. Un avortement clandestin est la conséquence d’une grossesse non désirée. Pourquoi en amont ne pas éviter les grossesses non désirées en adhérant à la planification familiale? Si l’on adhère pas à la planification familiale, les grossesses non désirées surviendront, l’on voudra avorter, puis les complications surviendront, s’en suivront des décès.
Selon le Fonds des Nations Unies pour la Population, accélérer la réduction de la mortalité maternelle, c’est agir sur trois axes, à savoir supprimer toutes les formes de décès maternel évitable, éliminer tous les besoins non couverts en planification familiale, réduire toutes les formes de violences basées sur le genre.
La réalité du Bénin est-elle la même que dans les autres pays de l’Afrique de ouest?
Le Bénin est en avance sur certains pays. Au Nigéria, l’avortement n’est pas du tout autorisé, à Badagri, il y a un avortement clandestin en cours. En république démocratique du Congo, pareil. En cote d’Ivoire, la loi est plus corsée qu’au Bénin. C’est l’hypocrisie au sommet de l’Etat. Je lance un appel aux dirigeants africains, les avortements clandestins tuent. Nous devons à travers la législation de nos pays améliorer les conditions d’accès des femmes aux méthodes de planification familiale.
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