Avortements clandestins au Bénin: La loi dit NON, les femmes disent OUI

Au  Bénin, l’avortement volontaire est interdit par les textes en vigueur. La loi 2003-04 du 3 Mars 2003 portant santé sexuelle et de la reproduction, en son article 17 définit les trois conditions dans lesquelles une interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée. Lorsque que la grossesse est issue d’un inceste, d’un cas de viol, lorsque le fœtus est frappé d’une malformation grave, ou lorsque la vie de la maman en danger, la loi demande qu’un collège de médecins se réunisse pour décider de la nécessité d’avorter ou non. Ainsi, la loi est restrictive. Clandestinement, les femmes avortent. Pour quelles conséquences socio sanitaires?

Reportage Déla Fidèle TAMADAHO

Odette (nom d’emprunt) infirmière diplômée d’Etat à Cotonou, n’a pas d’enfant et sauf miracle n’en aura plus. Ce mercredi de juillet 2020 sur la paroisse chrétienne céleste Arche de Noé, sise dans la commune d’Abomey-Calavi , 18 kilomètres environ, au nord de Cotonou, la capitale économique du Bénin, elle veut un accompagnement spirituel. Son vœu, le plus cher, avoir un enfant, semble utopique.  Proche de la quarantaine, elle regrette amèrement la décision qui a fait basculer sa vie. ‘Mon petit ami avait dix-huit ans, et moi dix-sept, quand je suis tombée enceinte. Il m’a convaincue d’avorter et nous nous sommes rendus chez un infirmier. Il était ferme, personne ne doit le savoir. La douleur était vive, mais supportable. Le lendemain, je me suis réveillée à l’hôpital sans mon utérus.’
Les médecins n’avaient d’autre choix que de l’enlever pour qu’Odette ait la vie sauve. Ses parents ne le lui dévoileront que plus tard. Après cette épisode, la jeune femme a continué ses études et est autonome financièrement. Mais son troisième mariage bat de l’aile. ‘Les parents de mon petit ami qui m’a poussé à avorter, se sont opposés à notre mariage. Chaque fois que j’explique ma situation, mes prétendants me délaissent.’ Seconde épouse d’un homme qui a cinq enfants d’un premier mariage, elle estime qu’il est à ses côtés pour profiter de sa situation financière.’

Femmes demandeuses de services de l’abpf: Parmi les femmes qui viennent à l’ABPF, il y en a qui demandent des services d’avortement.

Grâce Maroya, sage-femme à la clinique de l’Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF) n’a jamais avorté. Pourtant, c’est avec amertume qu’elle se souvient de ce jour mémorable du 6 avril 2016.  Encore en formation, à l’hôpital de zone de Djougou, elle a reçu en urgence une jeune fille de dix-huit ans dont les intestins sortaient suite à un avortement clandestin qui a mal tourné. Référée de Bassila, elle a été conduite au bloc opératoire. ‘Certes elle a eu la vie sauve, mais gardera des séquelles à vie.’ Se désole  la sage-femme. Les séquelles sont entre autre la stérilité, les infections, les perforations de l’utérus, les lésions de l’appareil génital et des organes internes.   

Grace MAROYA: Tant que la loi sur les avortements ne sera pas revue, la demande du service d’avortement ne cessera pas.

A l’ABPF les demandes de service d’avortement sont récurrentes. ” En consultation, nous opposons aux patientes, les  conditions de la loi 2003-04 du 3 mars 2003 en vigueur au Bénin et les convainquons de garder la grossesse.” révèle Grâce.  Cette loi n’autorise les avortements qu’en cas de détresse sanitaire de la femme gestante, d’une malformation grave du fœtus, en cas d’une grossesse issue d’un viol ou d’un inceste. Certaines femmes obtempèrent, d’autres supplient. Jeunes filles à l’école, en formation professionnelle, ou dames adultes sans situation matrimoniale stable.  Elles craignent des représailles de la société et pour la plupart ne sont pas en mesure d’assurer les charges financières qu’impliquent un enfant. Face au refus des professionnels de santé qui ne peuvent outrepasser la législation, elles se confient à des agents non qualifiés et se retrouvent avec des complications. ‘Nous sommes obligés de les prendre en charge parce qu’elles se retrouvent dans l’une des conditions de la loi‘ explique la sage-femme.

Chiffres inquiétants

Sur le site de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une publication de septembre 2020 renseigne qu’entre 2015 et 2019, il y a eu en moyenne 73,3millions d’avortements (sécurisés ou non) dans le monde. 45 % de ces avortements ne sont pas sécurisés (données de la Fédération Internationale de Gynécologie et d’Obstétrique) et la majorité est réalisée dans les pays en voie de développement. Dans ces pays, environ sept millions de femmes sont hospitalisées chaque année à la suite d’un avortement à risque.  Chaque année 4,7 %  à 13,2%  des décès maternels peuvent être attribués à un avortement à risque.

Au Bénin, une étude réalisée en 2016 révèle que 73 321 avortements provoqués et 68 922 avortements spontanés ont eu lieu au plan national. Une autre étude de cinq ans menée dans trois hôpitaux montre que 3139 femmes avaient été hospitalisées pour avortements incomplets issus d’une interruption volontaire de grossesse. 630 n’avaient pas nécessité de soins, 1277 avaient été traitées par aspiration manuelle intra utérine et 537 par administration de misoprostol. (Données tirées de l’évaluation des besoins de plaidoyer pour l’avortement sécurisé, réalisé en mai 2018 pour le Collège National des Gynécologues : Obstétriciens du Bénin (CNGOB).

Médecin épidémiologiste, spécialiste de la santé de la reproduction, le Dr Raphaël TOTONGNON, coordonne le Projet Plaidoyer pour l’Avortement Sécurisé (PPAS). Projet du CNGOB, né à l’issue de la précédente évaluation. Selon lui, ‘un avortement clandestin est forcément à risque et est la conséquence d’une grossesse non désirée‘. Pour ne pas en arriver à cet extrême, les gynécologues béninois à travers le PPAS militent afin que les femmes accèdent à l’avortement sécurisé dans les conditions définies par la loi 2003-04 du 3 mars 2003. En effet, les clauses de cette loi s’arriment au Protocole de la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples relative aux Droits de la Femme en Afrique (Protocole de Maputo). Instrument juridique de protection de la femme, le protocole de Maputo adopté en juillet 2003 et signé par 49 pays, garantit en son article 14, le droit à la planification familiale, le droit à l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère et du fœtus. Le Plan d’action de Maputo engage les gouvernements à adopter des politiques et cadres juridiques, en vue de réduire les cas d’avortement dans des conditions insalubres. L’OMS réitère que, si les États ne suppriment pas les barrières juridiques et administratives qui entravent l’accès des femmes aux services d’avortement sans risque, ils ne sauraient remplir leurs obligations internationales consistant à respecter, protéger, promouvoir et appliquer le droit à la non-discrimination.  La réalité est que sur dix cas de demandes de services d’avortement, neuf ne répondent pas aux conditions de la loi en vigueur au Bénin.
Constat du Dr Raphaël TOTONGNON.

Raphael TOTONGON: Spécialiste de la santé de la reproduction, Dr Raphael Totongnon, membre du CNGOB coordonne le Projet plaidoyer pour l’avortement sécurisé.

Des actions, mais …

Au Bénin, le Ministère de la Santé est conscient que 15% des décès maternels sont dus aux avortements clandestins (données hospitalières). En moyenne deux cent (200) femmes décèdent des suites d’un avortement par an. Parmi ces décès, un sur cinq est une jeune fille de moins de dix-huit ans. Pour pallier cette situation, le Ministère de la Santé a mis en place le Plan Opération de Réduction de la Mortalité Maternelle et Néonatale 2018-2022. Un plan qui demande de porter la prévalence contraceptive moderne de 16 à 25% en 2022. En effet, tous les pays membres des Nations unies sont tenus de ramener leur prévalence contraceptive moderne à 55% ou 65 % à l’horizon 2030. En 2019, le Bénin était loin de cet objectif puisque le taux de prévalence contraceptive moderne fluctuait entre 16 et 17 %. Le  Fonds des Nations Unies pour la Population recommande d’éliminer tous les besoins non couverts en planification familiale en vue d’accélérer la réduction de la mortalité maternelle. Même langage des Organisations de la Société Civile pour la promotion de la planification familiale et des partenaires techniques et financiers.

Malgré les actions de plaidoyers et de sensibilisations, la contraception moderne prend timidement. Plusieurs femmes sont réticentes quant à l’adoption d’une méthode contraceptive. Ceci à cause de la crainte ou de l’expérience des effets secondaires, des croyances culturelles ou religieuses, des opinions biaisées des prestataires de services, ou encore de la qualité des services. Jeune femme en couple et mère d’un enfant, Abeni Bouraima avait adopté le jadelle qui lui causait des saignements intermittents. ‘Depuis deux ans que je fais les injections, ça se passe bien’ se réjouit-elle. Quant à Marielle MEHOUENOU, 25 ans, elle a beaucoup hésité avant d’opter pour l’adoption d’une méthode moderne de contraception. ‘J’aurais dû le faire depuis des années, mais je crains les effets secondaires. Et comme je ne veux en aucun cas chopper une grossesse non désirée, c’est la première que je m’y aventure». révèle-t-elle. Éducatrice spécialisée, Wonder Onwuka a côtoyé plusieurs femmes qui se sont retrouvées avec une grossesse non désirée et qui ont dû avorter. Sa chance à elle, avoir eu accès à l’information sur la santé sexuelle reproductive dès son adolescence. ‘Si les femmes étaient mieux informées sur la santé sexuelle reproductive et la planification familiale, elles s’abstiendraient ou sauteraient elles-mêmes les barrières liées à la contraception moderne.’ soutient-elle.

Sensibilisation sur l’avortement sécurisé

Briser le silence pour sauver des vies

Pendant que la planification familiale piétine, d’autres voix s’élèvent. En mars dernier, le réseau des médias  africains pour la promotion de la santé et de l’environnement (REMAPSEN) a initié un atelier sur les avortements clandestins. Claire Stéphane Sacramento, coordonnatrice de ce réseau estime que le nombre de décès liés aux avortements clandestins est préoccupant. Selon elle, il faut recentrer le débat, sensibiliser les jeunes à la planification familiale ou à l’abstinence. ‘Il y en a qui aiment prendre des risques et qui, malgré tout se retrouveront avec des grossesses non désirées. Il faut leur permettre d’accéder à un service d’avortement sécurisé, car c’est le service fait clandestinement et non pas sur un plateau médical adéquat qui ouvre la porte aux complications et aux décès.’ argumente-t-elle.

Les personnes demandeuses des services d’avortement ne peuvent y accéder librement si le Bénin ne revoit pas sa législation. Le code pénal béninois condamne les personnes reconnues complices ou coupables d’interruption volontaire de grossesse à des peines de prison et d’amende.

Claire Stéphane SACRAMENTO: Il faut leur permettre d’accéder à un service d’avortement sécurisé, car c’est le service fait clandestinement et non pas sur un plateau médical adéquat qui ouvre la porte aux complications et aux décès

Le code de l’enfant dit que la femme qui se fait avorter, l’avorteur et le complice seront punis (Loi 2015-08 portant code de l’enfant en République du Bénin, art 324-330.) Sur la question, Laurence MONTEIRO, sage-femme à la retraite, présidente de l’Association des sages-femmes du Bénin approuve la légalisation de l’avortement. Au cours de sa carrière, elle a été témoin de situations dramatiques. ‘Parfois, celle qui s’est fait avorter est la fille d’un leader religieux. C’est alors que vous les voyez pleurer, supplier. Il faut dépasser les us, coutumes et autres barrières religieuses. Il vaut mieux réfléchir et cadrer légalement’. Insiste-elle.

En Afrique, quatre pays à savoir le Mozambique, le Cap vert, l’Afrique du Sud et la Tunisie ont légalisé l’avortement médicalisé. Dans ces pays, il y a un fort taux d’adhésion des personnes en âge de procréer aux méthodes de contraception modernes. Ainsi, en fin février 2021, la Tunisie est à 62, 5 % du taux de prévalence contraceptive moderne. ‘Comparaison n’est pas raison. Mais l’idéal aurait été que la loi soit beaucoup plus flexible‘. ose le Dr Raphael TOTONGNON. Au niveau mondial, la Pologne a interdit en octobre 2020,  les interruptions de grossesses liées à une grave malformation. En septembre 2021, aux États-Unis, une loi promulguée dans l’Etat du Texas interdit l’avortement à partir du moment où des battements de cœur de l’embryon sont détectés. Malgré ce contexte complexe, la FIGO, Fédération Internationale de Gynécologie et d’Obstétrique, dont est membre le Bénin, travaille avec les Etats pour l’accès des femmes à un avortement sécurisé.  A l’occasion de la journée mondiale du droit à l’avortement, ce 28 septembre 2021, le président du comité de l’avortement sûr de la FIGO, Jaydeep Tank, a déclaré : ‘Les déclarations de la FIGO visant à renforcer l’accès à l’avortement sécurisé réaffirment notre engagement envers l’autonomie reproductive, qui comprend l’accès à des services d’avortement sécurisé – un droit humain fondamental et non négociable. L’avortement est un service médical essentiel et urgent – un service qui devrait être fourni conformément aux préférences des femmes et des filles, et avec la sécurité, l’intimité et la dignité au premier plan.’

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